La
question de savoir si, pour progresser sur la Voie, il est nécessaire
de suivre l'enseignement d'un maître, est des plus légitimes
qui soient.
Il est d'autant plus crucial d'y réfléchir que l'on
constate aujourd'hui, en Occident comme en Orient,
un désir sans cesse approfondi d'autonomie, de liberté,
d'épanouissement individuel.
À l'ère de la responsabilisation croissante de chacun,
quelle place pour l'élève en quête de savoir,
et quelle place pour l'homme d'expérience, de savoir et
de transmission ?
Qu'est-ce qu'un Maître ?
A-t-on besoin d'un Maître ?
Peut-on apprendre sans un Maître ?
La réponse semble tomber sous le coup de l'évidence :
on ne peut pas se passer d'un maître pour guider les premiers
pas sur la voie.
Le progrès est à ce prix.
Imagine-t-on dans notre monde moderne, que l'on doive repasser
par tous les stades de l'évolution réinventer sans
cesse la roue ?
En aïkido, la première phase va consister à
assimiler rapidement les connaissances de base de la discipline
qui sont le fait d'un savoir ancestral, élevé au
rang d'art par un véritable génie, sans avoir à
les redécouvrir.
Les avantages sont nombreux, surtout pour ce qui est de la motivation
et de l'efficience du progrès (aspect yang).
Mais, comme en toute chose dans la création, on trouve
dans le mme temps un effet pervers (aspect yin) :
pour le disciple qui n'y connaît rien a priori, il faut
savoir choisir un Maître compétent.
Comme, au premier stade de son apprentissage, ses critères
de jugement sont bien étrangers à la pratique véritable :
- comment pourrait-il en être autrement puisqu'il n'a pas
la culture nécessaire et que ses motivations sont souvent
fort éloignées des objectifs profonds de la discipline,
- la mission est quasiment impossible, sauf à être
favorablement porté par les vents du hasard.
L'empreinte de son premier Maître sera pourtant bien plus
importante qu'on ne l'imagine souvent.
Elle conditionnera lourdement l'avenir de l'aïkidoka. Il
faut d'ailleurs être doté d'une très forte
personnalité pour admettre au bout d'un certain temps que,
le cas échéant, on s'est trompé de Maître.
Pour le pratiquant d'aïkido, le "Maître",
est le professeur qu'il s'est choisi entre tous.
Ce choix conditionne
son avenir :
Il ne se fait donc pas à la légère et en
tous cas jamais en fonction de paramètres triviaux
comme la qualité des douches du dojo, le montant de la
cotisation, la fédération avec laquelle il collabore
éventuellement, etc.
Traditionnellement, le Maître est choisi pour sa réputation,
ses qualités techniques et humaines
sa capacité à enseigner, sa recherche.
Comme dans toutes les disciplines individuelles, après
la maîtrise des rudiments, chaque individu exprimera sa
personnalité en fonction de sa recherche propre.
En effet il n'existe pas de standard dans la mesure où
l'aïkido est un art.
Chacun étant unique, il y a forcément autant de
pratiques différentes que de pratiquants.
Il serait par conséquent absurde de vouloir instituer une
norme tant au niveau de la pratique que de l'enseignement de l'aïkido !
En effet :
Les niveaux d'étude différents, l'enseignement reçu
de divers professeurs aux compétences différentes,
l'âge variant d'un pratiquant à l'autre, la condition
et la constitution physiques, les motivations personnelles différentes,
etc. font que chaque aïkidoka développe une pratique
tout à fait personnelle.
Ce qui faisait dire à Me Nakazono :
"n'essayez pas d'imiter mon shi ho nage, vous
n'y arriverez pas ;
il est le fruit de mon âge, de mon expérience et
de mon physique.
Trouvez donc le vôtre, celui qui vous correspond"
(Ce qui ne doit pas pour autant être compris comme l'autorisation
de faire n'importe quoi.)
Seul le professeur qui a formé un élève peut
de fait avoir un jugement valable sur son travail puisqu'il est
seul à connaître le parcours du pratiquant et seul
à savoir ce qu'il a enseigné.
Un Maître, si compétent soit-il, ne pourrait faire
autre chose que de mesurer un écart entre le travail d'un
étranger et sa propre conception de la pratique.
C'est pourquoi au Japon, non seulement en aïkido mais aussi
pour l'ensemble des pratiques traditionnelles, chaque enseignant
reconnu pour avoir le statut de professeur évalue lui-même
ses propres élèves, refusant toujours de grader
un inconnu qui viendrait le solliciter : comment, en vrai
maître, évaluerait-il ce qu'il ne connaît pas ? |